La réflexion sur les implications philosophiques des sciences et des techniques, le dialogue des sciences avec les visions du monde portées par les grandes cultures de l’humanité, et le lien avec la quête de sens qui anime chacun d’entre nous, font l’objet d’une activité intense au niveau international. Cela est particulièrement vrai dans le monde anglo-saxon avec l’existence de centres spécifiques sur les grands campus universitaires comme Berkeley, Oxford ou Cambridge (et récemment à Paris-Saclay), mais cette recherche se développe aussi dans différentes aires culturelles. La création du centre « Science et quête de sens » à l’UM6P donnera la possibilité aux étudiants et chercheurs, et, au-delà, aux managers et décideurs qui y sont formés, de se familiariser avec ces problématiques, et d’alimenter leur réflexion sur les grands enjeux du XXIème siècle. Je suis convaincu que la création de ce centre est une étape significative pour concrétiser l’ambition de l’Université Mohammed VI Polytechnique.
Le monde musulman est l’héritier d’une exceptionnelle tradition de recherche dans le domaine des sciences. Les travaux récents des historiens ont montré que cet intérêt pour l’exploration du monde, qui s’enracine dans les indications coraniques et l’enseignement prophétique sur la recherche du savoir (talab al-‘ilm), a commencé avec la période des traductions, au début de califat abbasside, mais ne s’est pas arrêté au bout d’un siècle, comme l’ont affirmé, à tort, les orientalistes : ces efforts ont duré des siècles, avec des centres se déplaçant à différents endroits du monde musulman : Bagdad, mais aussi le Caire, Damas, l‘Andalousie et le Maghreb, l’Asie centrale … Les savants du monde arabo-musulman ont apporté des contributions majeures dans de multiples domaines : mathématiques et physique, astronomie, chimie et médecine, ingénierie … De grands savants, comme Al-Farabi, Ibn Sina, Al-Ghazali, Ibn Rushd ou Ibn Khaldoun, ont réfléchi sur les relations entre raison et foi, science et société, dans la perspective de la quête de sens. C’est cet élan que nous devons retrouver aujourd’hui, et notre projet se veut une contribution à ce réveil. Le Maroc a beaucoup d’atouts pour conduire cette démarche dans le monde musulman, et assurer un rôle de pont entre l’Afrique, le Maghreb et l’Europe.
Il y a chez les étudiants un grand désir de savoir, mais aussi de réelles difficultés pour accéder à des informations sérieuses, dans le contexte de « surinformation » et trop souvent de « désinformation » sur internet et les réseaux sociaux. Il y a également les discours fondamentalistes de différentes natures qui rendent difficile ce dialogue constructif et fécond entre science et humanités. Le Centre fournira des formations et des ressources accessibles à tous ces étudiants. L’objectif est de former des hommes et des femmes qui auront acquis la réflexion nécessaire sur leurs pratiques scientifiques et techniques, et seront en mesure de penser « en dehors de la boîte » pour affronter les défis extraordinaires qui se présenteront à eux, dans un monde interculturel dont on a pris conscience des limites physiques.
Bruno Guiderdoni, docteur ès sciences, habilité à diriger des recherches, est astrophysicien, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la formation des galaxies, et directeur de l’Observatoire de Lyon. Il est le Vice-président de l’Institut Français de Civilisation Musulmane à Lyon, et dirige aussi l’institut des Hautes Etudes Islamiques qui œuvre depuis plus de vingt-cinq pour promouvoir le dialogue des cultures. Bruno Guiderdoni a publié de nombreux articles et contributions à des livres sur la spiritualité musulmane, le dialogue interreligieux, et les relations entre science et religion. Il a notamment supervisé les ouvrages collectifs Science et religion en Islam (2012, Albouraq) et Perspectives islamiques sur la science contemporaine (2013, ISESCO). Bruno Guiderdoni a collaboré avec différentes institutions nationales et internationales (John Templeton Foundation, Fetzer Institute, Haut conseil de l’ICESCO pour les musulmans en dehors des pays de l’OCI, Communauté Religieuse Islamique Italienne, Conseil d’Orientation de la Fondation de l’Islam de France, etc.), et a donné de nombreuses conférences invitées (Universités de Harvard, Cambridge, Edinburgh, etc…). Il a eu l’honneur de donner une conférence (dars) devant sa Majesté le Roi Mohammed VI lors des Durus Hassania de 2015.