La vision du monde qui domine dans une civilisation joue un rôle absolument central, non seulement pour son organisation sociale et économique, mais même pour ce qu’une telle civilisation peut envisager de faire ou de ne pas faire. Ainsi, en 1054, une Supernova issue de l’explosion d’une étoile fut visible sur terre en plein jour. Si les annales chinoises ont enregistré ce fait exceptionnel, personne, en Occident ne l’a noté. En effet, la vision aristotélicienne indiquait que dans « la sphère des fixes », tout était éternel et immuable. Une explosion d’étoile ou la création d’une nouvelle étoile était tout simplement impensable. Cette anecdote nous montre le caractère essentiel de la vision du monde pour formater notre réel. Or, la vision du monde de ce que l’on appelle « la modernité » qui, si elle est née en Occident, s’est répandue sur le monde entier, est d’abord et avant tout inspirée par la science. Si vous dites « c’est scientifique », vous serez infiniment plus crédible que si vous dites « j’ai rêvé que… » ! Or, la science dite « classique », issue des 18e et 19e siècles, est réductionniste, mécaniste et déterministe. Sa devise pourrait être résumée en « ce qui n’est pas mesurable et quantifiable n’existe pas». Si cela a permis d’énormes progrès qui ont amélioré la qualité et la durée de vie de plusieurs milliards de personnes sur terre, cela a également eu un certain nombre de conséquences négatives comme de faire de l’homme un simple rouage d’une grande machine dans les fameuses organisations tayloriennes ou de laisser l’activité économique être régie par la seule recherche de la maximisation du profit.
Comme le dit Thomas Friedman lui-même, pourtant promoteur du libéralisme économique : « Nous avons créé un système de croissance qui dépend de la construction de toujours plus de magasins qui vendent de plus en plus de produits fabriqués par de plus en plus d’usines en Chine, alimentées en électricité par de plus en plus de charbon, qui cause de plus en plus de changements climatiques, mais permettent à la Chine de gagner de plus en plus d’argent pour acheter de plus en plus de bons du Trésor US qui permettent aux américains de disposer de plus en plus de fonds pour construire de plus en plus de magasins qui vendent de plus en plus de produits dont la fabrication emploie de plus en plus de Chinois ... ». On ne saurait mieux définir la perte de sens, pas seulement au niveau philosophique et métaphysique, mais même au niveau pratique, induite par une vision du monde qui nous permet de mieux en mieux de savoir comment faire les choses, mais de moins en moins pourquoi les faire. Heureusement une immense révolution encore silencieuse a eu lieu depuis un siècle. Elle porte sur les fondements de la science elle-même. De l’infiniment petit à l’infiniment grand, des sciences de la conscience à celle de la complexité en passant par l’évolution du vivant, une nouvelle vision du monde s’est mise en place. Des dizaines de personnalités scientifiques du plus haut niveau ont contribué à analyser cette évolution qui fit dire par exemple au Prix Nobel de Chimie Ilya Prigogine parlant de la vision ancienne : « Notre science n’est plus ce savoir classique ». Cette mutation induite par les découvertes en physique quantique, en relativité générale, en épigénétique, dans certains domaines des neurosciences, et même en mathématiques et en logique, est porteuse d’une immense révolution conceptuelle qui n’a touché pour le moment qu’un public encore restreint, même s’il se compose de millions de personnes. Comme le disait l’un des fondateurs de la physique quantique, le Prix Nobel Erwin Schrödinger, dans les années 1950 : « il faudra encore plus d’un demi-siècle pour que ce que nous avons trouvé impacte réellement la société ». Nous avons ainsi l’espoir de trouver un « remède » au désenchantement du monde dans le domaine même qui a généré ce désenchantement. C’est pour faire connaître cette révolution et analyser ses impacts dans tous les domaines, qu’ils soient scientifiques, économiques, philosophiques ou managériaux, que le Centre « Science et Quête de Sens » a été créé à l’UM6P dans le cadre de l’Africa Business School. Pour moi qui ai géré des programmes de cette nature dans de nombreux pays, c’est une joie toute particulière de le faire enfin au Maroc, un pays qui, par la fréquence des voyages et des actions que j’y ai menés et le nombre de mes amis, peut être considéré comme ma deuxième patrie.
Jean Staune est diplômé en Mathématiques, Informatique, Economie, Management, Paléontologie Humaine et Philosophie des sciences. Il est le fondateur et Secrétaire Général de l’Université Interdisciplinaire de Paris (association française de la loi de 1901) dans le cadre de laquelle il a organisé de grandes manifestations internationales et rassemblé des centaines d’intervenants, dont plus de vingt Prix Nobel. Il a organisé, dans le domaine des implications philosophiques, métaphysiques et culturelles des découvertes scientifiques contemporaines, des programmes de formation et de recherche, financés par de grandes fondations internationales, dans 19 pays. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont le best-seller « Notre existence a-t-elle un sens ? » en philosophie des sciences et « Les clés du futur » (préfacé par Jacques Attali) dans le domaine de la prospective.